L'adaptation au climat dans le viseur du PLUi métropolitain
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Intégrer la dimension bioclimatique dans les intentions et orientations d’aménagement du PLUi est l’ambition nouvelle de la Métropole pour répondre à l’enjeu majeur du réchauffement climatique. Pour soutenir la réflexion, engagée avec l’Agence depuis 2021 dans le cadre du chantier Climat Énergie, elle a organisé en 2023 quatre séminaires avec les élus, sous le mentorat de Franck Boutté. Les pistes d’action envisagées seront traduites dans la modification N°3, qui sera approuvée en 2025.
L'adaptation au climat dans le viseur du PLUi métropolitain
Questions à Franck Boutté, Grand prix de l’urbanisme 2022, et Bruno Magnier, directeur de l’urbanisme et de l’aménagement, Grenoble-Alpes Métropole
Adapter la ville au climat de demain. Quels sont les enjeux ?
Franck Boutté : En Europe et en France, où il y a une histoire urbaine ancienne et une faible démographie, la ville de demain existe déjà en grande partie. 80 % des bâtiments, des espaces publics et des infrastructures de 2050 sont en place. Mais combien seront adaptés au nouveau contexte climatique ? Quasiment 0.
Cela donne l’importance de l’enjeu, dans un contexte annoncé par les rapports du GIEC, les crises sanitaires, écologiques et systémiques à répétition. On a complètement changé de paradigme. Les températures vont continuer d’augmenter, les épisodes caniculaires vont être plus violents et plus répétés, les crues seront plus importantes… Réduire la consommation d’énergies fossiles (et donc les GES), décarboner, pour atténuer les effets reste nécessaire mais ne suffit plus. L’adaptation dès aujourd’hui aux conditions de demain (à la lecture des rapports scientifiques) est le nouvel enjeu majeur de l’aménagement des territoires, de l’urbanisme et de la construction. Pour cette dernière, cela vaut autant pour l’existant que pour le neuf.
Et plus précisément ?
FB : En matière d’adaptation, il est urgent de faire l’inverse de ce que l’on a fait pendant des décennies dans une ville faite pour la voiture : il faut désimperméabiliser, déminéraliser, remplacer les revêtements de couleur sombre par des couleurs claires, restaurer le cycle de l’eau, planter là où c’est possible, réinviter le vent, la lumière, tout en se protégeant du soleil… C’est tout le vocabulaire de l’adaptation qui traite à la fois de bioclimatisme, de porosité hydraulique, de rafraîchissement naturel, de végétalisation… On est en train de reconsidérer fondamentalement l’urbanisme et la façon d’aménager le territoire.
Quelle est l’ambition métropolitaine en matière de bioclimatisme ?
Bruno Magnier : On est engagé dans une course contre la montre. 2050, c’est dans 25 ans, c’est demain. Les changements sont très rapides. Dans notre territoire alpin, cela fait des années qu’on voit les effets du changement climatique, les +2° sont déjà présents, on vient de subir dans l’hiver trois crues majeures de l’Isère… Le PLUi avait déjà fait une partie du chemin sur la préservation des terres agricoles et naturelles, sur l’énergie, sur la prise en compte des risques, sur la végétation et sa protection… Il fallait pouvoir élargir le champ. Très conscients de l’ampleur des défis, les élus nous ont incités à travailler sur les enjeux liés aux pics de chaleur et à la bioclimatisation du PLUi. Ce travail se fera en deux étapes. On prépare l’acte 1, pour accélérer la protection des arbres, renaturer, lutter contre les îlots de chaleur urbains et répondre aux enjeux de surchauffe l’été. Presqu’aucun bâtiment existant ou en cours de construction n’est adapté au climat que l’on vivra dans moins de 20 ans. On ne peut pas continuer comme ça. C’est pourquoi la Métropole a mis le Plan Climat Air Énergie au centre de son organisation. Quant au PLUi, c’est un outil un peu particulier, qui dote les élus locaux d’une vraie capacité d’initiative. Il leur permet de réglementer tout ce qui se construit. C’est un levier majeur, indiscutable, pour outiller les maires qui délivrent et instruisent les autorisations d’urbanisme. De très nombreuses politiques métropolitaines trouvent dans le PLUi une indispensable caisse à outils réglementaires.
Comment avez-vous travaillé avec les élus ?
FB : Je suis venu quatre fois à Grenoble. La première approche voulait allier concept et action. Ça a été un moment important pour partager des éléments de vocabulaire. On a fait un gros effort de décryptage de cette notion d’adaptation, qui n’est pas si évidente, même pour des Grenoblois déjà très sensibilisés à la vulnérabilité de leur territoire face au changement climatique. On est allés assez loin sur ce que l’adaptation signifie concrètement en termes d’actions, de leviers de projets, de gouvernance, d’identification des bénéfices rendus, etc. Il y a eu ensuite deux temps intermédiaires de travail collectif, pour produire les contenus à inscrire dans le PLUi et dans l’OAP bioclimatique.
J’ai trouvé des élus, des services, extrêmement motivés, très compétents… Il y a à Grenoble un ADN technique et scientifique. Or les enjeux de la transition relèvent d’une approche scientifique. Grenoble et la Métropole me semblent assez guidés par le calcul comme boussole, pour comprendre, pour viser loin, de la manière la plus précise et la plus objective possible. Certains échanges, sur les effets des matériaux biosourcés, ont été très poussés. Des élus ont eu envie d’aller tellement loin qu’il a parfois fallu les tempérer ! On ne peut pas tout activer en même temps au risque de tout bloquer. De ce fait, il a beaucoup été question de l’évolutivité du texte, pour ne pas avoir à relancer des modifications successives, et pouvoir cranter les actions au fil du temps… Agir dès que les filières sont prêtes, les matériaux disponibles, l’économie en capacité d’encaisser… Tout cela a été discuté, au service d’un texte agile. On a tous beaucoup appris de ces échanges autour de la modification N°3 du PLUi.
Que retenez-vous de ce chantier inédit ? Comment va-t-il se déployer ?
FB : Ce qui est intéressant, c’est que dans tous les axes inscrits au PLUi et dans l’OAP bioclimatique, on aborde à la fois et simultanément les enjeux d’atténuation et d’adaptation. Le premier axe (préserver/diversifier/renforcer le patrimoine végétal ; déminéraliser/désimperméabiliser par la couverture végétale) est fondamentalement un axe d’adaptation au changement climatique. Le deuxième axe, autour de la décarbonation (ambitions bas-carbone dans les futures opérations de construction, renforcement de la couverture en ENR et du potentiel de production d’ENR sur le territoire) est plutôt un axe d’atténuation.
Grenoble est un territoire du milieu, où il peut faire à la fois très froid et très chaud. Ici particulièrement, on doit impérativement travailler simultanément l’atténuation, par la déconsommation, la décarbonation, et l’adaptation aux conditions climatiques de demain.
Mais un texte ne fait pas tout. Un travail d’acculturation, de sensibilisation, de pédagogie, va devoir être mené par la Métropole, pour diffuser le texte et partager ses ambitions. Avec les acteurs de la ville comme avec les citoyens. Il y a bien deux projets indissociables : l’un réglementaire, l’autre sociétal.
BM : Avec les OAP thématiques risques et résilience et qualité de l’air, l’OAP paysage-biodiversité constituait déjà un morceau de bravoure. On s’est testé… avec l’ambition forte de doter notre document d’urbanisme d’une dimension qualitative. Avec le bioclimatisme, on va encore plus loin. Les OAP ont un rôle pédagogique et réglementaire opposable à jouer. L’acte de construire est important, il faut que l’on puisse donner des orientations claires, appropriables, s’assurer qu’elles seront prises en compte ; on va ainsi obliger les maîtres d’ouvrage et leurs équipes de maîtrise d’œuvre non seulement à se poser des questions mais aussi à faire valoir les solutions qu’ils comptent mettre en œuvre pour répondre à ces enjeux. Cette façon de faire fonctionne déjà avec l’OAP paysage-biodiversité. Pour le bioclimatisme, l’enjeu de pédagogie et d’appropriation est crucial : c’est un élément sur lequel nous devrons faire porter notre effort.
Et l’apport de l’Agence ?
BM : L’apport de l’Agence est déterminant. On n’aurait jamais réussi sans elle à monter notre PLUi en moins d’un mandat. Cette collaboration se poursuit, avec une OAP bioclimatisme assez inédite, notamment dans sa capacité à prendre en compte la diversité de notre territoire. La présence des montagnes, l’altimétrie, l’ensoleillement, les vents… selon la commune, vous n’aurez pas les mêmes éléments à prendre en compte. La force du travail avec l’Agence a été de prendre en compte cette diversité, de la traduire et de la transformer, comme c’est le cas pour l’OAP paysage et biodiversité, en éléments constitutifs de chaque projet. Il est en effet essentiel que chaque porteur de projet comprenne et s’approprie le milieu, les spécificités du territoire dans lequel il va construire, afin qu’il sache adapter et contextualiser son projet.
FB : J’ai trouvé particulièrement pertinent et riche, ce travail de cartographie des climats : 10 climats identifiés avec leurs caractéristiques principales et des actions en faveur du bioclimatisme déclinées pour chacun d’eux. C’est assez unique. C’est aussi une réponse à ce qu’est la métropole de Grenoble, métropole de tous les contrastes.
L'Agence a accueilli Franck Boutté et Bruno Magnier dans ses locaux pour échanger sur les étapes qui ont jalonné le chantier de l'OAP bioclimatique avec les élus métropolitains. Retour en images.