Précarités rurales iséroises
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L’Agence accompagne le Département de l’Isère dans la réalisation d’un diagnostic social visant à identifier les formes de précarité vécues dans les territoires ruraux du département, moins documentés en matière d’observation que le cœur d’agglomération ou l’urbain dense. Ce diagnostic cherche à apporter des éléments pour inscrire le travail social dans une logique préventive d’anticipation des risques et des besoins, dans un contexte d’inflation des prix de l’énergie et de l’alimentation.
Précarités rurales iséroises
Quelles sont les formes de précarité dans les territoires ruraux ? Quels sont les facteurs de bascule d’une situation de vulnérabilité vers la pauvreté ? Inversement, quels leviers sont activés pour s’extraire d’une condition de précarité ?
Pour répondre à ces questions, l’Agence applique une méthode qui croise observation quantitative et observation qualitative. A travers ces deux approches complémentaires, il s’agit d’être en mesure de saisir les formes de précarités vécues sur ces territoires ruraux, à la fois dans leurs spécificités mais aussi dans leurs évolutions, entre formes émergentes et signaux faibles. Mieux identifier les mécanismes de bascule, c’est-à-dire d’entrée ou de sortie de la précarité, permettra de dégager des axes de prévention et d’anticipation, une attente forte de la part du Département.
Volet quantitatif
L’étude s’attache à dessiner un portrait social de la population sur la base d’une batterie d’indicateurs statistiques territorialisés. Il s’agit notamment d’estimer et de qualifier la population iséroise vulnérable à partir des données disponibles (CAF, Insee) ; puis de comparer les profils sociaux de cette population fragile avec ceux de la population iséroise précarisée, bénéficiaire de l’action sociale départementale.
Volet qualitatif
Partant du constat que l’observation quantitative comporte des angles morts et ne permet pas toujours d’expliquer les phénomènes observés, ni d’identifier les signaux faibles, le diagnostic comprend un important volet qualitatif. Celui-ci se déploie sur trois territoires ruraux distincts : l’Oisans, la Bièvre, le sud Grésivaudan, et plus récemment le Roussillonnais. Il engage deux phases distinctes.
Une première phase de focus groups sur les trois territoires en novembre-décembre 2022.
Des entretiens collectifs sous forme de focus groups animés par l’Agence ont rassemblé des acteurs institutionnels et associatifs de terrain (services du Département, CCAS, Secours populaire, Croix rouge…), qui sont en prise directe avec des problématiques de précarité vécues par les habitants. Problématiques saillantes, situations-types et émergences, points de bascule d’entrée et sortie dans la précarité, angles morts de l’action sociale et leviers de prévention : tels sont les sujets qui ont pu être abordés au cours de ces rencontres.
Une seconde phase d'entretiens auprès de trois publics ciblés entre avril et juin 2023.
L’objectif est de confronter les constats des acteurs socioprofessionnels (institutions et associations) avec le vécu de personnes concernées par des situations de précarité, présentant des signes de fragilité sociale ou économique. Cette étape est réalisée en partenariat avec l’Observatoire du non-recours aux Droits (Odénore). Un appel à volontaires pour le recrutement des habitants est diffusé par les structures ayant participé aux focus groups. Des démarches de terrain pour rencontrer les trois publics ciblés lors des focus groups complètent ce dispositif. Lors de l’entretien, les habitants sont invités à s’exprimer sur leur situation, leurs problématiques et contraintes particulières, les facteurs de bascule dans la précarité et leur recours aux dispositifs d’aide. L’objectif est de questionner le rapport aux institutions et associations, l’identification, la lisibilité des dispositifs, ce qui est facilitateur ou bloquant.
Premiers enseignements des focus groups
L’accès difficile aux ressources dans des environnements à faible densité : une moindre densité des ressources (commerces, services, emploi) et une mobilité contraignante dans un territoire dispersé.
La précarité administrative exacerbée sur les territoires ruraux : disparition de l’accueil physique et dématérialisation des procédures et de la relation usagers ; complexité administrative…
L’accès au logement : un déficit d’offre adaptée et des logements énergivores
3 publics identifiés :
- Les actifs « au-dessus la ligne de flottaison » : le public situé juste au-dessus des barèmes d’aides est touché de plein fouet par le contexte inflationniste.
- Les personnes âgées : avec une perte de revenu au moment de la retraite, la perte d’autonomie et un isolement sont d’autant plus importants en milieu rural.
- Les jeunes : autre période charnière de la vie, le passage à l’autonomie, entraînant souvent une diminution du soutien familial avec des situations de décohabitation tardives ou au contraire brutales.
Les facteurs de bascule entre situation de vulnérabilité et précarité : endettement, passage à la retraite, rupture de parcours (perte d’emploi, séparation conjugale, accident), non recours aux droits ou retard d’attribution, problèmes de santé mentale ou physique, effet ciseaux (augmentation du coût de la vie / Baisse des aides (aides Département, impacts à venir réforme assurance chômage).
Les leviers sur les territoires : des dispositifs locaux d’action sociale qui fonctionnement bien, des dynamiques partenariales avec un réseau intercommunal, une bonne interconnaissance entre les acteurs qui permettent une bonne réactivé face aux situations.
Les freins : des dispositifs d’aide sous-dimensionnés par rapport à la réalité des besoins et donc saturés - les acteurs locaux de l’action sociale se retrouvent à pallier ce déficit et sont mobilisés par les urgences, les aspects administratifs et les difficultés d’accès au numérique.
Les publics ciblés
- Les actifs «primo demandeurs», qui sollicitent de l’aide pour la première fois
- Les jeunes : âge de transition vers la vie adulte marqué par des fragilités spécifiques
- Les jeunes retraités : une autre période de transition caractérisée par d’autres types de fragilités : diminution des ressources, période charnière de la vie
« On a un public très hétérogène, ça va de 20 ans à 80 ans. Il y a des gens qui sont propriétaires, d’autres locataires, d’autres hébergés. Il y a des gens au chômage, des invalides, des femmes seules, des personnes qui travaillent à deux avec enfants… »
Les résultats de l'analyse quantitative, mars 2023
Chroniques de terrain
« Mercredi 24 mai. J’accompagne aujourd’hui une tournée de distribution de colis alimentaires de la Croix Rouge mobile en Oisans. C’est une proposition du responsable de l’Union Locale de la Croix Rouge d’Echirolles pour aller à la rencontre de publics précaires dont nous cherchons à obtenir le témoignage. Le contact avait été établi lors de la première phase de l’enquête, dans le cadre du focus group organisé avec les acteurs locaux de la solidarité et de l’action sociale. Pour cette deuxième phase, nous nous appuyons sur les structures rencontrées à cette occasion afin de faciliter ces mises en relation. Les vingt personnes rencontrées lors de la tournée acceptent toutes d’être recontactées pour un futur entretien en tête-à-tête. La démarche est pourtant loin d’être évidente et reste souvent (très) aléatoire : il s’agit de parler de soi, de ses difficultés, de l’expérience parfois douloureuse de la relation d’aide, tout cela face à un inconnu. Le fait d’être aux côtés de la Croix Rouge et de ses bénévoles est facilitante. On sent une relation de confiance bien établie... »
Ludovic Morand, chargé d'études sociétales
#1 | A la rencontre des habitants de la Côte-Saint-André
#2 | Avec la Croix rouge mobile en Oisans