Manon Loisel nous interpelle : et si comprendre le sentiment d’injustice était une ressource pour des politiques publiques plus efficaces ?
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Ce mardi 22 novembre, pour un Croq'Futurs un peu spécial, nous avons donné carte blanche à Manon Loisel, invitée par la Direction stratégie, innovation et relation citoyenne de la Métropole. Elle a choisi un sujet aussi peu facile que convenu : celui des sentiments d’injustice. Les individus se comparent sans cesse avec leurs voisins, utilisent de plus en plus les réseaux sociaux… et tout cela a un impact sur leur vision de l’action publique. Alors, comment faire de la place à ces perceptions dans la construction des politiques publiques ?
Manon Loisel nous interpelle : et si comprendre le sentiment d’injustice était une ressource pour des politiques publiques plus efficaces ?
Les individus se comparent sans cesse avec leurs voisins, utilisent de plus en plus les réseaux sociaux… et tout cela a un impact sur leur vision de l’action publique. Alors, comment faire de la place à ces perceptions dans la construction des politiques publiques ?
Manon Loisel est consultante en coopérations territoriales et fondatrice de Partie Prenante. Elle a structuré son intervention autour de trois grandes questions :
1/ Quel est le défi de la prospective aujourd’hui ?
2/ Pourquoi considérer les sentiments d’injustice comme un sujet prospectif ?
3/ Que peut l’action publique pour mieux les prendre en compte ?
La prospective pour dépasser la sidération face au futur
D’entrée de jeu, concernant le rôle de la prospective, Manon Loisel place le regard, neuf. Notre société est traumatisée par l’enchaînement des crises, la pandémie, la guerre en Ukraine et la menace nucléaire, l’urgence climatique, une COP27 décevante… Face à un tel tableau, nous sommes tétanisés, plongés dans un état de sidération. La confiance en l’action publique est atteinte. Aveu d’impuissance ? Au contraire, Manon Loisel souligne l’importance d’élargir nos visions du futur et surtout, de les mettre en débat : pour sortir de cet état de sidération qui gèle tout passage à l’action, en s’appuyant sur une prospective simple et outillée, qui donne des marges de manœuvre. Quatre grands défis sont pointés dans l’article publié avec Nicolas Rio pour Millénaire 3 pour construire un véritable « espace de délibération sur l’avenir » : un défi cognitif (élargir nos visions du futur) ; un défi stratégique (donner du poids au long terme) ; un défi opérationnel (conjuguer le futur au présent) ; un défi démocratique (organiser la confrontation et la convergence entre une pluralité de visions de l’avenir).
Les sentiments d’injustice comme sujet prospectif
Notre rapport au futur se caractérise aussi par une tension croissante entre objectivité et subjectivité. À l’image des rapports du GIEC, les productions scientifiques se multiplient pour objectiver la(les) trajectoire(s) probable(s). Aussi rigoureuses soient-elles, ces analyses chiffrées contrastent avec l’intensité des émotions convoquées lorsque les individus se projettent dans le futur : sentiments d’injustice, d’angoisse, d’impuissance… Préparer l’avenir nécessite de dépasser ce dialogue de sourds, en accordant plus de place à ces subjectivités, et en décryptant leurs répercussions sur l’action publique métropolitaine. C’est ce que Manon Loisel, qui a travaillé ce sujet avec Nicolas Rio pour le Grand Lyon, s’est attachée à nous expliquer, de façon très concrète.
Avec les Zones à Faibles Émissions (ZFE), le Zéro Artificialisation Nette (ZAN), mais aussi les projets de méga-bassines, Manon Loisel montre que les contestations sont de plus en plus adressées à l’échelle locale, notamment celle des métropoles, qui s’éloignent progressivement de leur fonction initiale de gestion des réseaux techniques. Intégrer les contestations, c’est un virage à opérer pour elles, pour se rapprocher des citoyens et prendre le pouls de leurs émotions. Pour les prendre en compte, il faut oser faire moins de quantitatif et plus de qualitatif, sortir du « tout objectivable ». A ce titre, l’exploration des réseaux sociaux et de la presse locale peut se révéler particulièrement instructive, tout comme la mobilisation des agents des services métropolitains (celles et ceux en charge de la collecte des déchets comme celles et ceux en charge de la gestion des réseaux sociaux de la collectivité), qui sont au contact avec les publics, en particulier ceux qu’on n’entend pas, mais qui n’en pensent pas moins. Faire autrement donc.
Les sentiments d’injustice : problème ou ressource pour l’action publique ?
Toutes les collectivités sont confrontées à une intensification des sentiments d’injustice. Face à cela, deux options : les considérer comme un problème à désamorcer avant qu’il n’explose, ou au contraire, les aborder comme des ressources utiles, pour une action publique plus à l’écoute des citoyens. Manon Loisel plaide évidemment pour la seconde option qui lui semble la seule capable d’offrir une nouvelle grammaire de l’action publique, associant efficience des services et restauration de la confiance des usagers.
Mais comment utiliser les sentiments d’injustice pour alimenter les politiques publiques ? Manon Loisel propose un début de réponse en trois grandes étapes : 1/ repérer les bons capteurs (réseaux sociaux, presse locale, agents des collectivités…) dont dispose déjà la collectivité ; 2/ assurer la bonne transmission du sentiment d’injustice au sein de la collectivité ; 3/ du diagnostic à la feuille de route, intégrer les sentiments d’injustice aux politiques publiques.
Avec un message « subliminal » : il faut avant tout travailler la posture de la collectivité, qui doit pouvoir exprimer sincèrement ce qu’elle a la capacité d’assumer, ou pas. L’essentiel est d’expliquer les décisions, d’objectiver les choix, d’écouter, de porter de la considération… « Parce que la confiance génère de la confiance. » Il y a beaucoup à inventer pour permettre cette mise en relation des parties et ce pas à franchir vers l’acceptabilité sociale des choix et décisions. Cela va nécessiter de renouveler les modalités de la participation citoyenne. Un débat à poursuivre urgemment.
(BIEN) ENTENDU
« Il y a un besoin de changement de logiciel global pour accepter cette subjectivité »
« Il faut casser le graal de la représentativité. »
« Est-ce qu’on a les bons capteurs pour mener à bien cette concertation ? »
« À chaque fois qu'on fait une réunion, on demande aux gens de venir avec « un plus un » : quelqu'un qui n'est jamais venu, quelqu'un qui ne vote plus, quelqu'un qui ne s'exprime pas. »
« Très souvent, on a l'impression quand on parle de sentiment d'injustice, que c'est une sorte de montagne qui nous submerge et qu'on n'y verra jamais clair. En fait, les ateliers que j'ai déjà menés montrent que si, en fait, on peut très bien se mettre au clair sur chacun des sujets… ».
« Il y a une très grande pénétration des deux sujets : sentiment d'injustice et participation citoyenne. J'aurais tendance à dire que, d'une certaine façon, nous, ce qu'on invite à faire, c'est de la participation citoyenne partout, tout le temps, hors les murs de ce qui est organisé par la collectivité. »
« Il faudrait par exemple qu'une délégation de 5 à 6 agents de collecte viennent en conseil métropolitain pour venir raconter ce qu'ils entendent sur les déchets comme sur d'autres sujets. Les utiliser un peu comme des courroies de transmission […] Comment faire pour aller repérer et écouter au plus près ce qu'on entend le moins ? Comment traiter les privilèges ? »
« Le lien avec la communication, le lien avec la relation usager : ils sont centraux. »
« Je pense que ce que nous amène la réflexion sur les sentiments d'injustice, c'est bien de se dire : il faut que la collectivité continue de montrer qu'elle agit, mais il faut aussi qu'elle explique pourquoi elle n'agit pas. »
« Il peut être intéressant d'essayer de regarder sur quoi la politique publique a répondu au sentiment d'injustice et sur quoi, au contraire, on a buté. »
Le replay du Croq'Futur # 3
Visionner l'intervention de Manon Loisel (45 min)
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Croq'Futurs, les petits déjeuners débats de l'Atelier des Futurs, pour partager des recettes et se nourrir des expériences.
Ces Croq'Futurs, ont pour objectif de s’acculturer mutuellement, collectivement et progressivement aux questions de prospective territoriale dans un monde anthropocène en partageant réflexions, expertises et expériences.